Devoir de mémoire: Epuration à la Libération en France
(source)
L’épuration à la Libération en France visait les personnes ayant collaboré avec les autorités d’occupation nazies ou considérées comme telles.
À la Libération, avant que les cours de justice et chambres civiques ne soient créées et installées, et à la faveur des mouvements de foules où la joie, le désir de vengeance et les règlements de comptes se mêlent ; résistants et populations s’en prennent aux collaborateurs, ou considérés comme tels. L’épuration extra-judiciaire entraîna la mort d'environ 9 000 personnes, dont un tiers par des résistants.
Par la suite, l’épuration judiciaire prend le relais. Elle s’exerce par l’entremise de tribunaux d’exception : la Haute Cour de justice, les cours de justice et les chambres civiques pour les actions non réprimées par le code pénal. Le jury d'honneur juge les élus. L’épuration légale concerne plus de 300 000 dossiers, dont 127 000 entraînent des jugements et 97 000 des condamnations, les peines allant de cinq ans de dégradation nationale à la peine de mort.
L'épuration touche tous les secteurs d’activité et toutes les couches de la société.
Le cinquantenaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, au milieu des années 1990, est l’occasion de nombreuses études qui jettent une lumière nouvelle sur cette période extraordinaire, au sens propre du terme, qu’est la Libération. C'est également le moment de synthétiser l’ensemble des travaux concernant celle-ci.
Les dernières enquêtes réalisées par le Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale (CHDGM) et son successeur, l’Institut d’histoire du temps présent (IHTP), donne pour 84 départements (sur 90 en 1945) le chiffre de 8 775 exécutions sommaires lors de l’épuration extra-judiciaire, auxquelles s'ajoutent environ 1 500 condamnations à mort prononcées entre 1944 et 1951 par la Haute Cour de justice et les cours de justice (791 ou 767 suivant les enquêtes) et par les cours martiales (769 pour 77 départements selon l’IHTP). En outre, environ dix mille condamnations pour indignité nationale sont prononcées.
L’épuration aurait donc fait au total entre 10 000 et 11 000 morts, l’essentiel des exécutions sommaires ayant eu lieu immédiatement après la Libération (date qui a varié selon les régions).
Épurations extrajudiciaires
La Libération prend dans certaines régions des allures d'émeute ou de guerre civile. Des territoires sont dominés par des « seigneurs » de la Résistance où les représentants de l'État, fraîchement investis, ne peuvent pénétrer.
Cependant, toutes les régions françaises fraîchement libérées connaissent une épuration extra-judiciaire, tout d’abord durant l’occupation, où des collaborateurs sont exécutés. Lorsque des collaborateurs sont tués par des résistants organisés, la décision émane le plus souvent d’une « cour martiale » ou d'un « tribunal » de fait. Dans le cas d’actes individuels, l’auteur ne s’embarrasse pas de semblant de légalité. D’autres collaborateurs sont menacés de représailles s’ils ne cessent pas leurs activités. Durant la Libération, dans le feu de l’action, des collaborateurs avérés ou supposés subissent des procédures extrajudiciaires. Ils peuvent être tués ou séquestrés en attendant un jugement.
Tondues
La collaboration féminine est souvent sanctionnée par la tonte des cheveux des femmes jugées coupables (quelques cas d'hommes collaborateurs tondus sont également recensés). Les femmes tondues à la Libération sont accusées par la foule de « collaboration horizontale » (relation sexuelle avec l'occupant), un fait qui n'est pas incriminé dans le code pénal. Que les relations entre ces femmes et les Allemands soient de nature sexuelle ou pas, la tonte peut servir d’exutoire pour une population frustrée durant quatre ans, mais est plus une cérémonie misogyne de reconquête du corps des femmes et du territoire (urbain ou rural) via le cortège qui promène la tondue dans les rues et les chemins. Cette tonte n'est pas simplement vue comme une sanction mais aussi, avant la Libération, comme une prévention en désignant les personnes qui auraient pu aider l'ennemi (peur de la cinquième colonne). Le compte est difficile à faire, mais Fabrice Virgili propose un ordre de grandeur d'une vingtaine de milliers de femmes tondues. Les vraies collaboratrices côtoyent celles qui ne l’étaient pas : les femmes amoureuses (par exemple : celles qui ont refusé de quitter leur concubin ou leur mari allemand, lors des évacuations de civils des bases de sous-marins de Saint-Nazaire, Lorient et Dunkerque), celles qui étaient des prostituées et celles qui étaient livrées à elles-mêmes durant le conflit et qui, pour pouvoir survivre, ont dû se mettre au service de l’occupant, le plus souvent comme lingère ou femme de ménage.
Épuration judiciaire
L’enquête gouvernementale de 1948 donne 791 condamnations à mort exécutées, et celle de 1952, 767 exécutions.
Épuration en Algérie française
L’épuration judiciaire naît à Alger (Algérie française) le 18 août 1943, par l’ordonnance du Comité français de libération nationale (CFLN) coprésidé par le général de Gaulle et le général Giraud.
À la suite du débarquement en Afrique du Nord de novembre 1942, des hauts fonctionnaires de Vichy et même un ancien ministre de l’intérieur, Pierre Pucheu, furent faits prisonniers. Ce dernier est inculpé fin août 1943. Son procès commence le 4 mars 1944. Accusé de trahison, il est exécuté le 20 mars 1944.
Épuration légale
Ordonnances du GPRF relatives à l’épuration
Le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) rédige toute une série d’ordonnances permettant d’épurer la société française. Les textes concernent toute la population (Ordonnances du 26 juin 1944, du 26 août 1944…), ou des catégories spécifiques de la population (Ordonnances du 18 janvier 1945, du 5 mai 1945…).
Ces textes posent un problème en droit quant à la rétroactivité de leur action.
Indignité nationale
Pour éviter que les collaborateurs ne puissent occuper des postes à responsabilités, il faut pouvoir en limiter l’accès. La « nécessité d’une purification de la patrie » oblige à tenir compte alors de ce que l’on peut appeler la collaboration « diffuse ». Car la loi n’a pas défini toutes les formes de collaboration, et sans enfreindre directement la loi, des personnes ont soutenu les idées totalitaires. L’ordonnance du 26 août 1944 vise à compléter la liste des crimes relevant de la collaboration et instaure un état d’indignité nationale. Par l’adhésion à des partis collaborationnistes, la diffusion des idées nazies ou vichystes, des Français se sont mis en état d’indignité nationale au sens de l’ordonnance.
Les chambres civiques des cours de justice sont chargées de déclarer les personnes mises en cause en indignité nationale ou pas. Lorsque l’accusé est mis en état d’indignité nationale il est condamné à une peine de dégradation nationale. La peine est infligée pour une durée donnée ou pour toujours, à perpétuité. L’indignité sert de peine complémentaire dans les cours de justice, alors qu’elle est la peine principale dans les chambres civiques.
La condamnation s’inscrit sans conteste sur le terrain de la justice politique. Car la loi prévoit d’« interdire à certains individus diverses fonctions électives économiques et professionnelles qui donnent une influence politique à leurs titulaires », écartant de la haute fonction publique, comme des mandats syndicaux et politiques ceux qui ont mal choisi leur camp. Les notions de « citoyen indigne » ou de « pratiques antinationales » montrent la volonté d’entreprendre une épuration politique au sens propre du terme.
Juridictions
Le GPRF met en place une justice d’exception et crée des tribunaux spéciaux pour juger les faits de collaboration. La Haute Cour de justice pour les membres des gouvernements, les cours de justice pour le tout-venant relevant du code pénal, et les chambres civiques des cours de justice pour le reste.
Haute Cour de justice
Une Haute cour de justice existe déjà dans la Constitution de la IIIe République, créée par les lois des 16 et 24 février 1875. Elle est recréée le 18 novembre 1944. Sise à Paris, elle est chargée de juger le chef de l’État français, Philippe Pétain, les membres de ses gouvernements (ministres, secrétaires d’État), les commissaires généraux, les résidents généraux, les gouverneurs généraux, les hauts-commissaires, et leurs éventuels complices.
Le premier procès fut celui de l’amiral Jean-Pierre Esteva, résident général de France en Tunisie. Il est condamné à la détention à perpétuité le 15 mars 1945. Il évite la peine de mort, car la cour reconnaît que l’accusé a aidé des patriotes en mai 1943, juste avant de quitter la Tunisie. Malade, Esteva, est gracié le 11 août 1950. Il meurt quelques mois plus tard.
Le 23 juillet 1945, s’ouvre le procès du maréchal Pétain, un procès durant lequel le plus jeune avocat du Maréchal, Jacques Isorni, enflamme le prétoire. Cependant, le 15 août 1945, la Haute Cour de justice condamne Philippe Pétain à la peine de mort. Cependant vu l’âge du condamné, et ses états de service durant la Première Guerre mondiale, Philippe Pétain voit sa peine commuée en réclusion à perpétuité.
Le Premier ministre par deux fois Pierre Laval (juillet-décembre 1940 et avril 1942-août 1944) réussit à s’enfuir en Espagne. Cependant Franco le renvoie à Innsbruck (Autriche), en pleine zone d’occupation des États-Unis. Laval est arrêté et livré aux autorités françaises. Son procès s’ouvre début octobre 1945. Après un procès bâclé, où Laval est souvent empêché de parler, l’ancien Premier ministre est condamné à mort pour trahison le 9 octobre 1945 et exécuté une semaine plus tard, le 15 octobre
Le dernier procès concerne André Parmentier, directeur général de la police, et secrétaire général du ministère de l’Intérieur. Condamné à 5 ans d’indignité nationale, le 1er juillet 1949, il est de suite relevé de sa condamnation pour faits de résistance.
La cour se réunit encore (voir plus bas), mais au 1er juillet 1949, elle a instruit 108 dossiers et rendu 108 jugements :
- dans 8 dossiers, les justiciables sont morts avant jugement, donc l’action juridique s’éteint : Jean Bichelonne mort en Allemagne en décembre 1944, Joseph Barthélemy…
- 3 acquittements : Émile Laure (secrétaire général du chef de l'État) le 2 juillet 1948, Félix Olivier-Martin (secrétaire général de la jeunesse), le 28 juin 1949 et Marcel Peyrouton, gouverneur général de l’Algérie le 23 décembre 1948.
- 42 non-lieux : Jacques Le Roy Ladurie (12 décembre 1945), Jérôme Carcopino (11 janvier 1947), Weygand…
- 18 peines de mort, dont 3 exécutées (Pierre Laval, Joseph Darnand, Fernand de Brinon), 5 commuées (Philippe Pétain, Henri Dentz, Raphaël Alibert…), et 10 contumaces (Darquier de Pellepoix, Maurice Gabolde, Abel Bonnard…) citons également le cas de Jacques de Lesdain condamné à mort par contumace en 1950.
- 8 peines de travaux forcés, dont 6 à temps (Jacques Chevalier, Paul Baudouin, Charles Nogues…), et 2 à perpétuité (Gabriel Auphan, Hubert Lagardelle),
- 14 peines de prison, dont 13 à temps (Yves Bouthillier, André Marquis, Henri Bléhaut, Xavier Vallat…), et 1 à perpétuité (Jean-Pierre Esteva),
- 15 peines de dégradation nationale, comme peine principale (François Piétri, Adrien Marquet, …), dont 7 seront suspendues pour « fait de résistance » (Jean Ybarnegaray, André Parmentier, René Bousquet…).
La Haute Cour de justice se réunit à nouveau entre 1954 et 1960 lorsque des condamnés par contumace se rendent ou sont faits prisonniers. La cour est systématiquement plus indulgente que lors du jugement par contumace. 20 ans de travaux forcés pour le résident général au Maroc, Charles Noguès, le 28 novembre 1947 (contumace), et l’indignité nationale relevée immédiatement, pour le même le 26 octobre 1956.
Cours de justice
Les cours de justice sont créées par l’ordonnance du 26 juin 1944. Pour le GPRF, il convient d’organiser l’épuration et affirmer son autorité sur les territoires libérés.
D’après le bilan définitif officiel, au 31 janvier 1951, le total des dossiers traités par les cours de justice (y compris leur chambre civique) est de 311 263. 183 512 dossiers sont classés sans suite (140 011 avant information, 43 511 après information).
Les cours de justice jugent 57 954 dossiers, permettant de statuer sur le cas de 55 331 personnes :
- 6 724 acquittements,
- 6 763 peines de mort, 2 853 prononcées en présence de l’accusé, dont 767 exécutées (le reste soit 2 086 condamnations à mort est commué), et 3 910 contumaces,
- 13 339 peines de travaux forcés, dont 2 702 à perpétuité (454 en présence de l’accusé, 2 248 contumaces), et 10 637 à temps (1 773 en présence de l’accusé, 8 864 contumaces),
- 2 044 peines de réclusion criminelle (1 956 en présence de l’accusé, 88 contumaces),
- 22 883 peines de prison,
- 3 578 peines de dégradation nationale, comme peine principale (3 559 en présence de l’accusé, 19 contumaces).
Jurys d’honneur
Par l’ordonnance du 21 avril 1944, le GPRF décide d’exclure, en déclarant inéligibles, les membres des gouvernements du 16 juin 1940 à la Libération, les fonctionnaires révoqués à la Libération, les profiteurs de guerre, les membres du conseil national, les conseillers de Paris et les membres des conseils départementaux (sauf s’ils ont été élus avant 1940), et enfin les parlementaires ayant voté « oui » en juillet 1940 ou ayant conservé une fonction après 1942, même honorifique. Ils peuvent cependant être relevés de cette condamnation par le préfet. La décision est ensuite confiée au jury d'honneur.
Chambres civiques
Créées par l’ordonnance du 26 août 1944, le premier nom complet fut : section spéciale des cours de justice. La ressemblance avec des sections spéciales des cours d’appel de sinistre mémoire (récente) entraîne la modification du nom. Après l’ordonnance du 30 septembre 1944, le président et les quatre jurés siègent à la chambre civique de la cour de justice.
Chaque chambre civique a pour but de juger les personnes dont les actions ne sont pas punissables pénalement. Elle met les condamnés en état d’indignité nationale, et les punit de dégradation nationale.
D’après le bilan définitif officiel, au 31 janvier 1951, les chambres civiques des cours de justice jugent 69 797 dossiers, permettant de statuer sur le cas de 69 282 personnes :
- 19 453 acquittements,
- 14 701 dégradations nationales à vie : 9 946 prononcées en présence de l’accusé, et 4 755 par contumace,
- 31 944 dégradations nationales à temps : 30 617 prononcées en présence de l’accusé, et 1 327 par contumace,
- 3 184 personnes sont condamnées mais relevées de suite de leur peine pour faits de résistance.
Juridictions militaires
Les juridictions militaires ont fonctionné avant l’instauration des cours de justice et après pour juger le reliquat des affaires en cours. L’enquête du CHSGM pour l’épuration judiciaire nous donne pour 77 départements, 769 condamnations exécutées.
Autres épurations
Épuration des intellectuels
L’épuration des intellectuels est à la fois extrajudiciaire et judiciaire. Elle est de nature différente des autres formes d'épuration.
Les intellectuels ont une visibilité excellente sur la situation de la France pendant la guerre. Ils créent eux-mêmes des sources pour la justice. Les écrits produits durant l’occupation serviront à condamner leurs auteurs, lorsque ces derniers se laissaient aller à prôner la victoire de l’Allemagne, la gloire de l’Europe nouvelle ou du maréchal Pétain, que ce soit à la radio (TSF), dans les journaux et le reste de la presse écrite, au cinéma.
À la Libération, les acteurs français de la collaboration au nazisme et leurs encenseurs sont confondus comme responsables de l’occupation, y compris de la répression des résistants, des Juifs, des Tziganes, etc.
Dans la presse, les épurés sont plutôt journalistes que dirigeants de journal. Même, s’il existe des contre-exemples de taille. Ainsi, en novembre 1944, Georges Suarez, directeur du journal Aujourd’hui, auteur de Pétain ou la démocratie ? Il faut choisir ? en 1942 est exécuté le 9 novembre. Albert Lejeune, directeur de nombreux journaux de province et de la société du journal L'Auto, a de très bons rapports avec la « Propaganda Abteilung in Frankreich », organe de propagande de l’armée allemande. Ce qui lui vaut d’être arrêté dans les Bouches-du-Rhône après la Libération. Il est inculpé d’intelligence avec l’ennemi, condamné à mort, et exécuté à Marseille le 3 janvier 1945.
Dans le domaine de l'édition, les dénonciations sont variables selon les positions. L'éditeur Gaston Gallimard n’est pas inquiété, contrairement à Robert Denoël (proche de Robert Brasillach et Louis-Ferdinand Céline notamment). Robert Brasillach, rédacteur en chef de Je suis partout, et dont Gallimard a édité un recueil de textes en 1941, « Le procès de Jeanne d’Arc », est condamné à mort. Il est fusillé le 6 février 1945.
Un autre auteur de renom, l'écrivain maritime Paul Chack, est fusillé le 9 janvier, soit presque un mois avant Brasillach.
Des journalistes de la radio sont aussi condamnés à mort par la cour de justice de Paris : Jean Hérold-Paquis responsable éditorial à Radio Paris, membre de la Milice française, Jean Luchaire, un ultra de la collaboration, qui dirigea le journal La France et la radio Ici la France en tant que ministre de l’information du « gouvernement » français en Allemagne.
Le Comité national des écrivains édicte des listes d’ « écrivains indésirables ». Les membres du CNE s’engagent à ne pas travailler avec les éditeurs qui emploieraient des écrivains ayant aidé moralement ou matériellement l’Occupation. L’ostracisme est prononcé sur la base des idées. C’est une épuration idéologique, les faits jugés sont surtout des faits politiques.
Le syndicat des chansonniers s’épure également seul. Les chansonniers se « désolidarisent » d’une dizaine de leurs collègues qui ont prêté leur verve à des galas ou des émissions de radio jugés engagés dans le soutien à Vichy ou à la collaboration.
L’épuration spécifique des intellectuels au niveau professionnel est régie par une ordonnance : L’Ordonnance du 30 mai 1945 relative à l’épuration des gens de lettres, auteurs et compositeurs, des artistes peintres, dessinateurs, sculpteurs et graveurs crée deux comités qui se partagent la tâche :
- le comité national d’épuration des gens de lettres, auteurs et compositeurs ;
- le comité national d’épuration des artistes peintres, dessinateurs, sculpteurs et graveurs.
Les comités prononcent des peines professionnelles : interdiction de jouer, d’éditer, de « prononcer des conférences et des causeries » (article 3), d’exposer, de vendre (article 4), de percevoir des droits d’auteur et de reproduction. Les revenus (droits d’auteur et de reproduction) des condamnés sont versés à des œuvres. Les sanctions ne peuvent excéder une durée de deux ans.
Dans le cinéma, une première épuration, officieuse, a lieu à partir de juin 1944, du fait de résistants de base du métier. Des acteurs (Albert Préjean, Viviane Romance), des reálisateurs (Léo Joannon), des journalistes compromis dans des films de propagande (André Castelot). À partir de septembre 1944, le Comité de libération du cinéma français, créé clandestinement en 1943 et dirigé par Pierre Blanchar, Jean-Paul Le Chanois (alias commandant Marceau) et Louis Daquin, prend le relais ; il procède à des suspensions comme celles de Jean Mamy (réalisateur), d'Armand Thirard (technicien) ou de Raoul Ploquin (producteur). Enfin après décembre 1944, c'est la section cinéma du Comité régional interprofessionnel d'épuration (CRIE), qui prend une charge une épuration officielle. Entre 1945 et 1949, c'est un peu plus de 1 000 dossiers d'épuration qui arrivent devant la section. Cette épuration officielle est de plus en plus indulgente, parce que le pardon fait, comme ailleurs, son chemin, mais aussi pour relancer la filière cinématographique de plus en plus menacée par le cinéma hollywoodien.
Des professionnels du cinéma particulièrement compromis en répondent en outre devant les cours de justice, tels Robert Le Vigan, condamné à 10 ans de travaux forcés par celle de la Seine en 1946 - et qui, libéré en 1948, finira ses jours en Argentine -, ou Jean Mamy, que la même cour condamne à mort en 1948 et qui sera fusillé en 1949.
Épuration administrative
Sont créées des commissions d’épuration départementales au sein de chaque administration et une commission centrale dans chaque ministère qui sont chargées de réaliser l'épuration dans l'administration. Entre 22 000 et 28 000 fonctionnaires et employés des entreprises nationales seront sanctionnés par ces commissions, soit entre 1,4 et 1,8 % du nombre de fonctionnaires. Près de la moitié des sanctions sont des exclusions définitives (licenciements ou retraites d'office). Les ministères les plus concernés sont ceux de l'intérieur, de l'éducation, des transports (SNCF), des finances, des PTT. Excepté Maurice Papon, aucun préfet n'a été sanctionné.
Épuration dans l'armée
À l'exception notoire de l'amiral Charles Platon, ministre des Colonies dans le gouvernement de Vichy de 1940 à 1943, executé le 28 août 1944 par des FTP locaux après un procès sommaire, les membres du Haut Commandement de l'Armée sont justiciables devant la Haute Cour qui instruit 108 dossiers dont 24 officiers généraux, 11 amiraux, 8 généraux de l'armée de terre et 5 généraux de l'armée de l'air. Mais la première condamnation est prononcée par le tribunal militaire d'Alger en mai 1944 à l'encontre de l'amiral Derrien. Il est condamné à la prison à perpétuité pour avoir livré le port de Bizerte aux Allemands.
Il est reproché à la majorité des militaires d'avoir simplement obéi à un gouvernement déclaré illégitime par les nouveaux dirigeants. Aussi les quatre condamnations à mort seront commuées en détention à perpétuité. Il s'agit de Jean-Pierre Esteva résident général en Tunisie lors du débarquement des alliés en Afrique du Nord, Henri Dentz commandant les forces de Syrie en 1940-1943, Jean de Laborde qui a exécuté le sabordage de la flotte française à Toulon et Eugène Bridoux, ce dernier, en fuite en Espagne, étant condamné par contumace. Le cas du maréchal Pétain est naturellement traité à part.
Des amiraux ou généraux sont condamnés à des peines d'emprisonnement de deux à dix ans : Abrial, Robert, Bléhaut, Auphan, Marquis, Bergeret, Delmotte, et le général Noguès, ce dernier par contumace. D'autres bénéficient d'un non-lieu après de longues procédures, comme pour Weygand ou Laure.
La situation de nombre d'officiers supérieurs ou subalternes a aussi fait l'objet d'un examen par les commissions d'épuration des armées. Un peu plus de 3000 d'entre eux ont été mis à la retraite d'office ou rayés des cadres. Des mesures d'amnistie réduiront les peines et réintégreront une partie des cadres.
Épuration religieuse
À la Libération, le général de Gaulle et le CNR dont le président d'alors est le démocrate-chrétien Georges Bidault souhaitent une épuration de l'épiscopat lequel, dans sa majorité, a prôné l'obéissance au maréchal Pétain et fait en quelque sorte, selon eux, le jeu de la propagande de l'occupant. Pour Bidault, la mesure devait porter sur un tiers de l'épiscopat. Dans un premier temps, de Gaulle exige le départ du nonce Valerio Valeri que Pie XII, avec réticence, accepte de remplacer par monseigneur Roncalli, futur pape Jean XXIII.
André Latreille, résistant gaulliste et sous-directeur des cultes est chargé de faire avancer le dossier. Il doit composer avec le nouveau nonce qui va agir avec ténacité dans le sens d'une indulgence. Il n'admet comme argument que le cas d'odium plebis (cas où un évêque aurait suscité la haine de ses fidèles). Les négociations traînent de février à mai 1945, et l'opinion publique est assez indifférente à la question. Le pape enfin déclare être prêt à faire un geste si le couperet se limite à quelques évêques, sans toucher aux cardinaux.
Le gouvernement de la République obtient la démission de :
- François-Louis Auvity, évêque de Mende ;
- Florent du Bois de la Villerabel, archevêque d'Aix-en-Provence ;
- Henri-Édouard Dutoit, évêque d'Arras ;
- Roger Beaussart, évêque auxiliaire de Paris, qui paie l'intouchabilité en tant que cardinal de l'archevêque de Paris Emmanuel Suhard.
Certains cas épineux sont finalement épargnés : l'évêque de Poitiers Édouard Mesguen, celui de Saint-Brieuc François Serrant et l'archevêque de Bordeaux Maurice Feltin, futur cardinal.
S'y ajouteront, à la demande de De Gaulle, les vicaires apostoliques de Saint-Pierre et Miquelon, de Dakar et Rabat. En contrepartie de la modération dont ont fait preuve les pouvoirs publics, Pie XII acceptera d'accorder le cardinalat à Jules Saliège archevêque de Toulouse, Clément Roques archevêque de Rennes et Pierre Petit de Julleville, archevêque de Rouen.
Épuration économique
Durant l'Occupation du territoire, les usines Renault produisirent nombre de véhicules pour l'armée allemande. À la Libération, Louis Renault fut donc arrêté comme collaborateur en 1944 et mourut en prison avant son procès dans des circonstances obscures. Ses usines sont saisies par le gouvernement provisoire et nationalisées sous le nom de « Régie Nationale des Usines Renault » pour intelligence avec l'ennemi.
Une des affaires les plus importantes de cette épuration économique est le scandale du classement sans suite de l'affaire Brice au cours duquel fut jugé l'ingénieur et patron Pierre-Louis Brice pour sa participation à la construction du mur de l'Atlantique.